1.05 “Les Malgré Eux”

Les enrôlés de force alsaciens et leurs compagnons de souffrance luxembourgeois.

En 1942, comme au Luxembourg, les jeunes Alsaciens et Lorrains étaient enrôlés de force dans la “Wehrmacht”.  Voici un essai de comparaître leur réaction et leur traitement après la guerre avec ceux de leurs camarades luxembourgeois.

Dans un texte précédent (1. 01 « De la vérité historique »), il a en effet été suggéré de comparer la réaction des jeunes Luxembourgeois appelés pendant la deuxième guerre mondiale à servir dans l’armée allemande à celle des jeunes Lorrains et Alsaciens confrontés au même problème. Cette comparaison peut présenter un intérêt  tant pour ceux qui ont vécu cette situation que pour ceux qui s’interrogent aujourd’hui à ce sujet.

Une telle comparaison risque cependant de se révéler fallacieuse alors que les antécédents historiques alsaciens et lorrains sont différents de ceux du Luxembourg. En plus ces trois entités largement germanophones, du  moins encore en 1940/45, ont chacune une identité particulière.

Germanophones mais appartenant à la France depuis des générations, l’Alsace et la Lorraine devinrent, suite à l’armistice de 1871, un « Reichsland » allemand. Elles  le restaient jusqu’en 1918. De ce fait les pères des jeunes, appelés en 1942 à rejoindre l’armée allemande, avaient souvent été, en 1914/18, soldats du Kaiser alors que leurs camarades ainés avaient rejoint leurs régiments français en 1939 et que beaucoup d’eux se retrouvaient ensuite prisonniers de guerre en Allemagne.

Le Luxembourg, par contre, ayant partagé pendant des siècles le sort de  la Belgique d’aujourd’hui, n’a jamais été allemand. Devenu indépendant après les guerres napoléoniennes, ce qui restait de l’ancien Duché, paradoxalement devenu un « grand » Duché, avait du se forger de toutes pièces une identité nationale.

N’oublions pas non plus dans ce contexte qu’en Europe l’idéal nationaliste ne s’est généralisé qu’après les guerres napoléoniennes, que l’Allemagne et l’Italie, entre autres, n’ont trouvé leur unité nationale qu’au 19siècle.

Cela étant dit et voulant avoir le cœur net à propos de mon idée, quelque peu intempestive, de comparer le comportement des Alsaciens et des Lorrains à celui des Luxembourgeois appelés à rejoindre l’armée allemande, j’ai eu recours à l’internet.

J’ai ainsi appris que pendant la deuxième guerre mondiale environ 170.000 Alsaciens et Lorrains avaient été appelés à rejoindre la Wehrmacht, que plus de 40.000 de ces jeunes gens ne sont pas revenus de leur calvaire et que 30.000 y furent gravement blessés. Quelque 40,000 n’avaient pas obéi à l’appel allemand ou avaient déserté après avoir endossé l’uniforme allemand. Comme au Luxembourg, les familles de ces réfractaires et déserteurs risquaient la déportation.

J’ignore à quel point ces informations sont fiables. Elles permettent cependant de penser que ces jeunes Français, appelés à endosser l’uniforme allemand, s’étaient trouvés dans une situation semblable à celle que confrontaient leurs homologues luxembourgeois et qu’ils y avaient réagi d’une façon similaire.

Il reste malheureusement à mentionner une différence significative entre l’expérience de  ces jeunes gens, différence qui s’est reflétée dans l’accueil officiel leur réservé lors de leur retour de guerre.

Après la guerre, on a refusé au Luxembourg d’accorder le titre de   “mort pour la patrie » aux Luxembourgeois ayant trouvé la mort en portant l’uniforme allemand. Décision qui ne fut guère du goût de l’association « Ons Jongen », regroupant les « Enrôlés de force ». En haut lieu on n’avait pas voulu faire un amalgame entre ceux ayant subi, malgré eux, les conséquences de la domination de leur pays par les Allemands et ceux qui y avaient activement résisté. À part ce refus, souvent  ressenti douloureusement, ces rescapés furent cependant tous considérés comme d’authentiques victimes du nazisme.

Pour les Alsaciens et les Lorrains par contre, les choses semblent avoir été quelque peu différentes. Si leurs familles, leurs amis, les Alsaciens et les Lorrains en général, connaissaient les contraintes ayant mené ces jeunes à endosser l’uniforme allemand, tel n’était pas le cas pour  d’autres Français. Ce n’était surtout, du moins au début, pas le cas pour les nouvelles autorités françaises : Vichy, autorité nationale suprême généralement acceptée comme telle pendant l’occupation, était maintenant considérée comme ne pas avoir été représentative de la France. L’armistice de 1940 était devenu une bavure, Leclerc avait libéré Paris et la France, à côtés de ses Alliés, avait gagné la guerre.

Pas étonnant dès lors que les rescapés alsaciens et lorrains ayant du porter l’uniforme allemand, en rentrant chez eux, n’y trouvaient pas l’accueil officiel qui fut celui de leurs homologues luxembourgeois. Pas étonnant non plus si les récits de leur calvaire publiés par les   « Enrôlés de force » luxembourgeois,  paraissent avoir été bien plus nombreux que ceux des « Malgré Eux » alsaciens et lorrains.

Pour terminer, je voudrais encore rapporter que, d’après ce que m’ont raconté mes camarades revenus du front de l’Est, une réelle connivence avait lié dans la Wehrmacht Alsaciens, Lorrains et Luxembourgeois. Noyés dans la Wehrmacht, dans un milieu nationaliste homogène, confiant dans sa supériorité et sa victoire finale, ils étaient soulagés lorsqu’ils retrouvaient entre eux.

Il faut aussi relever que la réaction vigoureuse des Luxembourgeois à l’introduction de la conscription par les Allemands, une grève générale réprimée brutalement, a  probablement contribué à  limiter la conscription au Luxembourg à quelques classes d’âge, alors qu’en Alsace  et en Lorraine, elle était bien plus générale.

JH, en septembre 2016

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