De l’entêtement dans une action sans but précis.
Après 2 mois de manifestations et pas mal de casse en France, sans que l’on sache quand et comment cela se terminera, voici un second commentaire sur les manifestations des gilets jaunes en France.
Ayant suivi l’épopée des gilets jaunes qui poursuit son cours, ayant aussi hésité à en juger, je suis revenu de mon attitude initiale:
“Dans une démocratie parlementaire respectant les droits de l’homme, comme la France, lorsque qu’une majorité parlementaire entend y exécuter son programme électoral, on peut critiquer, manifester son mécontentement mais il faut le faire dans le cadre légal. Si des réformes sont mises en exécution et si le résultat en paraît inacceptable à d’aucuns, fusse à la majorité des citoyens, alors c’est aux organes constitutionnels, en France à l’Assemblée nationale, à y réagir. ”
J’estime qu’il s’agit là d’un principe fondamental: en démocratie on peut protester, manifester contre ce qu’on considère comme une dérive gouvernementale inacceptable mais, en le faisant, on doit respecter la loi.
Or les gilets jaunes semblent ne pas accepter ce principe essentiel.
Depuis longtemps, en comparaison avec ses voisins, l’Allemagne surtout, la France stagne économiquement. Rater l’occasion fournie par le conquête macronienne de la majorité parlementaire de réformer le fonctionnement insatisfaisant de la machine française à produire des richesses serait, je le crains, tragique.
Il s’ajoute à cela que l’action des gilets jaunes est basée en grande partie sur des informations erronées quoi qu’acceptées par beaucoup de Français.
Pour étayer cette affirmation, je me permets de recourir à des commentaires trouvés sur le site de l’hebdomadaire “Le Point” qui passe en revue des slogans souvent entendus ces derniers temps:
1 “Si on réduisait le train de vie seigneurial de ceux qui nous gouvernent, on pourrait déjà faire beaucoup”
Le coût annuel total de la Présidence, de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil constitutionnel représente 0,01% des dépenses publiques françaises, soit € 19 par Français. En y faisant régner une austérité spartiate, on pourrait peut-être en économiser un quart, soit une économie annuelle d’un peu plus que € 4 par Français: 30 centimes par mois – de quoi améliorer sensiblement le niveau de vie des gens?
2 “L’inégalité du pouvoir d’achat est devenue intolérable”
Selon les statistiques internationales (coefficient Gini) cette inégalité sociale française se situe dans une moyenne européenne et s’est améliorée avec le temps.
Elle s’est établie à 0,289 en France en 2017. Soit un niveau plus élevé qu’au Danemark (0,263) ou qu’en Finlande (0,259), mais nettement inférieur aux niveaux observés en Espagne (0,341) ou au Royaume-Uni (0,351).
Il y a plus.
Contrairement à ce qui a pu être observé dans des pays comme la Suède ou l’Allemagne, l’inégalité a reculé en France au cours des dernières années, même s’il elle se situe encore légèrement au-dessus de son plus bas niveau historique atteint en 1998 (0,279). Enfin, et contrairement à une idée très répandue et nourrie par les discours nostalgiques sur les Trente Glorieuses, la France est aujourd’hui bien moins inégalitaire qu’elle ne l’était il y a cinquante ans (en 1970 le coefficient Gini s’établissait en France à 0,337) et infiniment moins qu’il y a un siècle (Gini y était à 0,460).
Je dois dire que ces informations m’ont étonné, j’avais cru que l’inégalité sociale s’était récemment développée en Europe.
3 “Peu importe le niveau de la dette publique”
La dette publique est présentée par des leaders du mouvement des gilets jaunes comme «illégitime», créée intentionnellement dans le seul but d’enrichir les banques privées. On pourrait cesser de la rembourser du jour au lendemain.
Ridicule. En France, incapable de se plier à une discipline budgétaire, on s’était habitué à voir une dette publique galopante ramenée périodiquement à un niveau raisonnable par des dévaluations successives du franc français. Résultat: les patrimoines investis dans des biens mobiliers ou, surtout immobiliers gardaient leur valeur, l’épargne monétaire détenue surtout par les moins riches s’érodait en permanence de même que les dettes encourues surtout par ceux ayant accès au crédit.
L’indifférence au problème de la dette publique est symptomatique du haut degré d’intoxication française à cette drogue dure qu’est le déficit de son budget ordinaire dont ses Gouvernements ont usé et abusé depuis des décennies. Or le service de la dette grève de plus en plus la capacité budgétaire de l’État français. Du temps du franc, une inflation importante permettait de réduire continuellement ce poids au détriment de l’épargne des gens. Il en allait de même pour ceux ayant accès au crédit des banques, essentiellement les riches. Avec l’Euro, cela ne marche plus comme auparavant.
L’Allemagne a pris un autre chemin et s’en est sortie bien mieux.
4 “La France est très riche”
En disant cela, on ne se réfère pas aux richesses naturelles, architecturales ou historiques dont regorge effectivement la France, mais bien à une capacité contributive insuffisamment sollicitée de ses grandes sociétés et de sa bourgeoisie supposées, elles, d’être opulentes et riches.
C’est oublier que la France connaît depuis une décennie une croissance économique faible. La comparaison avec l’Allemagne est à cet égard édifiante. En 2006, les deux pays avaient à peu près le même niveau de PIB par habitant (29 500 euros en Allemagne, 29 100 euros en France). Depuis lors celui de l’Allemagne a progressé de 34,2 % alors qu’il n’a augmenté en France que de 17,5 %.
Une des raisons pour laquelle la France crée moins de richesses que l’Allemagne (c’est “Le Point” qui le dit) est qu’on y travaille moins qu’ailleurs, (semaine de 35 heures, plus de jours de congés, absentéisme, âge de départ à la retraite précoce).
En quarante ans, le volume d’heures travaillées aurait baissé de 20 % en France alors qu’il serait resté stable en moyenne dans les pays de l’OCDE!
5 “Tout est toujours plus cher, il y a trop d’inflation”
Affirmation que l’on trouve aussi chez nous, la responsabilité en étant généralement attribuée à l’Euro. Il s’agit là d’une opinion populaire guère étayée par les statistiques qui indiquent au contraire que les pays occidentaux en général, la France incluse, connaissent une période d’inflation exceptionnellement modérée. Depuis l’introduction de l’euro, l’inflation n’a dépassé en France le seuil de 2 % qu’à quatre reprises (2003, 2004, 2008 et 2011).
Mais ce ne sont là, évidemment, des statistiques truquées…
6 “On paie des décennies d’ultralibéralisme”
Selon le discours des leaders de La France insoumise et du Rassemblement national, les difficultés économiques du pays résultent des« politiques ultralibérales »menées depuis plusieurs décennies en France, politiques censées s’être traduites par un désengagement financier de l’État dans tous les secteurs, par des coupes claires dans les dépenses publiques et les effectifs de fonctionnaires, expliquant tout à la fois la détérioration des services publics et la montée de la précarité sociale.
Cette interprétation apparaît fort éloignée de la réalité des données qui, toujours selon “Le Point”, indiquent, au contraire, que jamais le poids de l’État dans la vie économique de la France n’a été aussi élevé et que jamais l’État-providence n’y a été aussi développé qu’aujourd’hui.
7 “Il faut augmenter le smic (le salaire minimum)”
Les travailleurs modestes pourraient être les premiers perdants d’une hausse du smic. Un groupe d’experts chargé chaque année de plancher sur le sujet le répète inlassablement: « Le smic brut place la France parmi les pays de l’OCDE où le salaire minimum, en proportion du salaire médian, est parmi les plus élevés, aux alentours de 60 %”.
Autrement dit: à ce niveau, il dissuade déjà les employeurs d’embaucher de la main-d’œuvre peu qualifiée.
Augmenter le salaire minimum reviendrait aussi à augmenter le coût du travail et menacerait l’emploi ainsi que la compétitivité française, qu’il s’agit de renforcer.
Au Luxembourg, où l’exigence d’augmenter le salaire minimum est devenue traditionnelle, on évite soigneusement de s’interroger sur les conséquences d’une telle augmentation sur l’emploi des travailleurs non qualifiés.
8 “De l’argent, il y en a, il suffit de lutter contre la fraude”
La lutte contre la fraude, déjà efficace, nécessiterait d’engager de nombreux agents à Bercy, ce qui coûterait cher, pour des rendements décroissants, puisque ses services se concentrent sur les fraudes les plus importantes. Un raisonnement similaire a conduit le Grand-Duché, au cours du Gouvernement CSV/PS précédent, d’abandonner l’impôt sur la fortune.
À l’époque le soussigné en fut choqué, voyant disparaître la possibilité de contrôler la véracité des déclarations des revenus à l’aide de l’évolution de la fortune des contribuables. L’espoir d’attirer des fortunes et des revenus de l’étranger avec fait accepter une réduction de la capacité de détecter des fraudes. Apparemment ce furent cependant avant tout des considérations d’efficacité qui avaient amené, à l’époque, même les socialistes à adhérer à l’abandon de l’impôt sur la fortune.
Beaucoup confondent aussi fraude et optimisation fiscale. Cette dernière consiste à monter des structures exploitant les différences entre les régimes fiscaux nationaux afin de minimiser, en toute légalité, la charge fiscale. Lutter contre l’optimisation nécessite l’harmonisation des règles fiscales nationale. Ce qui suppose, en UE l’accord de tous les États membres, en particulier de l’Irlande, des Pays-Bas et … – du Luxembourg!
Le Royaume Uni, après le Brexit, compte en profiter largement!
9 “Les riches n paient pas d’impôt, ce sont toujours les petits qui paient”
Un profond sentiment d’injustice fiscale anime depuis l’origine le mouvement des gilets jaunes, né du refus d’une hausse de la taxe sur les carburants venant grever le budget des ménages les plus modestes contraints d’utiliser leur voiture pour aller travailler, alors que le gouvernement s’était empressé de supprimer l’ISF. D’où cette phrase souvent entendue dans les reportages effectués sur les ronds-points.
C’est une réaction compréhensible, mais c’est aussi ignorer le caractère extraordinairement distributif et solidaire du système socio-fiscal français décrit par l’Insee dans son dernier «France, portrait social», dont “Le Point” cite quelques données chiffrées:
En 2017, avant la redistribution monétaire par le biais des impôts directs et du versement des prestations sociales, le niveau de vie moyen des 20 % de Français les plus aisés se situait à 56 130 euros par an, soit 8,4 fois plus que le niveau de vie moyen des 20 % de personnes les plus modestes (6 720 euros par an). Après redistribution, ce rapport n’était plus que de 3,9, correspondant à une augmentation de 72 % du niveau de vie moyen des 20 % de personnes les plus pauvres et à une diminution de 20 % de celui des 20 % les plus riches. Les prestations sociales (aides au logement, minima sociaux, allocations familiales, etc.) contribuent aux deux tiers à la réduction des inégalités des niveaux de vie et l’impôt sur le revenu y participe à hauteur d’un tiers. Ce dernier n’a été acquitté en 2017 que par 43,14 % des foyers fiscaux, les 10 % de Français les plus aisés en ayant payé à eux seuls 70 % (55 sur 78 milliards d’euros).
Il reste cependant que, d’une façon générale, l’écart entre “riches” et “pauvres” s’est partout creusé, moins dans les pays scandinaves, fortement aux États-Unis.
On sait les Gilets jaunes très favorables à un référendum d’initiative citoyenne pour rétablir l’ISF, que tous les autres pays européens – même scandinaves – ont pourtant choisi de supprimer en raison des effets négatifs qu’il avait sur l’attractivité et la croissance et qui ne représentaient en France qu’une goutte d’eau dans l’océan des prélèvements obligatoires (4 milliards d’euros sur 1100 milliards).
10 “Le pouvoir d’achat ne cesse de se dégrader”
Voilà une évidence pour beaucoup de Français. Pourtant, les chiffres sont clairs: il n’y a pas eu de baisse de pouvoir d’achat. Mais c’est vrai qu’il a quasiment stagné depuis 2008 et que certaines catégories de ménages, en particulier les plus modestes, ont vu leur niveau de vie baisser.
Reste qu’il y a quelque chose de paradoxal à voir le mouvement des gilets jaunes se constituer à partir d’octobre 2018, précisément au moment où la politique fiscale d’Emmanuel Macron – après avoir fait chuter le pouvoir d’achat au premier semestre avec la hausse de la CSG ainsi que celle des taxes sur le carburant et le tabac – commençait à le faire progresser avec la suppression d’un tiers de la taxe d’habitation (sauf pour les 20 % les plus aisés) et la montée en puissance des baisses de cotisations salariales, qui ont augmenté le salaire net des salariés.
11 “La rémunération de ceux qui nous gouvernent nous coûte une fortune”
Il y a quelques semaines circulait, sur les pages Facebook des gilets jaunes, une rumeur selon laquelle une prime de Noël de 8 000 euros avait été accordée aux députés et aux sénateurs. Cette information erronée s’appuyait sur la reprise d’articles de presse dénonçant le système mis en place jusqu’en 2014 par des sénateurs UMP pour siphonner en leur faveur des crédits théoriquement réservés à la rémunération d’assistant. Plus inquiétant encore, on entend parfois dire que la rémunération des élus et le coût des institutions suffiraient presque à expliquer où est passé le «pognon»des Français. Les sommes en jeu restent pourtant très modestes. Selon l’ancien député socialiste René Dosière, spécialiste du contrôle des dépenses des élus, le budget de la présidence de la République, ajouté de celui de l’ensemble du gouvernement (rémunération des ministres et des collaborateurs comprise) mais aussi de celui de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que de celui des deux chaînes parlementaires et du Conseil constitutionnel, atteint 1,3 milliard d’euros. Un chiffre à rapprocher des 1 345 milliards de dépenses publiques prévues en 2019. Cela représente 0,1 % du total, ou un gain de 19 euros par Français et par an si le tout était supprimé. Quant à baisser arbitrairement la rémunération de l’ensemble des élus de la nation de 10 %, cela rapporterait 150 millions d’euros par an, une paille.
Terminant la liste des conceptions erronées publiée par “Le Point”, qui sont à la base des manifestations en France et sans nier le fait que beaucoup de Français se trouvent dans une situation patrimoniale précaire, il faut, selon le soussigné, accepter:
– que les inégalités ne datent pas de la présidence Macron mais sont le résultat de la politique poursuivie en France depuis des décennies;
– que Macron voulut rompre avec ce passé et mener des réformes allant améliorer la productivité de la France;
– que les gilets jaunes sont symptomatiques de la réticence des Français de changer de comportement, d’habitudes;
– que les inégalités sociales ne sont pas l’apanage de la France mais se retrouvent dans beaucoup de pays européens, mais que ce n’est qu’en France que cela donne lieu à des émeutes.
J.H., le 17 janvier 2019