Une proposition bien intentionnée mais saugrenue et impraticable.
Commenter l’actualité politique, à mon âge, est une entreprise risquée. Essayer de formuler son opinion sur des sujets intéressants, essayer de développer un argument, est pourtant une occupation passionnante . D’où la reconnaissance du soussigné à ceux qui défrayent la chronique en lançant une idée, une proposition quelque peu provoquante, invitant des réactions, stimulant la discussion.
Il en est ainsi de la proposition d’un éminent membre de notre Gouvernement, d’imposer spécialement ceux qui, loin de souffrir économiquement de la pandémie, en profitent.
Qu’il en soit donc remercié et profitons de l’aubaine pour examiner sa proposition.
- Qui sont ces » profiteurs » insolites ?
Comme il ne peut pas s’agir d’employés ou de fonctionnaires, doivent être visés avant tout des indépendants, des chefs d’entreprises, des initiateurs de « start up » ou encore des actionnaires de sociétés, tous supposés avoir les « épaules larges ».
- Qu’est-ce qu’ils ont fait de mal, ces » profiteurs » ?
Eh bien, ce sont des « spéculateurs » qui ont essayé de prévoir les conséquences de la pandémie, les besoins nouveaux pouvant en résulter et qui y ont réagi avec succès. Il se peut aussi que certains se trouvaient, du fait de la pandémie et malgré eux, dans une situation favorable: des profiteurs par chance !
- Est-ce mal de « spéculer » ainsi ?
« Spéculer », c’est essayer de prévoir les conséquences des choix que l’on est amené à faire, y inclus celui de ne pas choisir. Spéculer est tout simplement le propre de l’homme. Qu’il choisisse sa profession, fasse des achats, économise ou investisse. Rares sont ceux qui ne « spéculent » pas s’ils en ont la possibilité, qui ne se demandent pas quelles seront les conséquences de leurs choix, de leurs actions.
» Spéculer » est ainsi un comportement fondamental de l’homme. Sans spéculation, la société fonctionnerait mal ou pas.
Le sens péjoratif du terme provient probablement d’une jalousie inconsciente envers ceux qui ont » bien spéculé « , mieux en tout cas qu’on l’a fait soi-même. C’est pareil avec l’opprobre que suscitent les termes « profit » ou « profiteur ». Celui qui « profite du malheur d’autrui » est critiqué alors que s’il « met à profit des circonstances favorables », il ne l’est moins ou pas du tout.
Subtilité sémantique !
Reste à ajouter, pour prévenir tout malentendu, qu’être « spéculateur » ou « profiteur » n’empêche pas, dans l’esprit du soussigné du moins, d’avoir une conscience sociale et d’agir en conséquence.
- En voulant imposer spécialement les bénéfices dus à la pandémie, comment distinguer les avantages économiques tirés de la pandémie des autres revenus ?
Difficile de définir les critères d’une telle distinction et plus difficile encore de les appliquer lors de leur imposition potentielle. Pour répondre à cette question, pourtant essentielle, il faudra donc s’adresser à l’auteur de la proposition.
- Une loi rétroactive !
Espérons que si jamais une telle loi entrait en vigueur, l’essentiel de la pandémie se trouvera derrière nous. Pour être efficace, la loi devra donc avoir un effet rétroactif. Le Conseil d’État, les députés apprécieront !
- Une première mondiale !
Pour autant que le soussigné le sache, il n’existe en la matière aucun modèle dont le législateur luxembourgeois pourrait s’inspirer. On sera des pionniers, et pour cause !
Conclusion
On arrive ainsi à la conclusion que la proposition d’imposer spécialement les bénéfices réalisés grâce à la pandémie est impraticable. Comme cela doit avoir été compris dès le départ par son auteur, on se demande quelle en était la motivation.
C’est en tout cas une réaction typique de gens qui n’ont jamais envisagé de choisir une profession indépendante, qui n’ont jamais eu la responsabilité personnelle, parfois angoissante, de payer à fin du mois les salaires dus. Ces gens peuvent avoir à cœur une meilleure justice sociale et ne voir, pour y parvenir, que d’imposer davantage les « riches ». Ce faisant ils ne se soucient guère des sources de notre revenu national, sont inconscients des conséquences potentiellement néfastes de leurs propositions.
Il y a des mois, l’ancien ministre socialiste Robert Goebbels a publié un article dans lequel il montrait, chiffres à l’appui, à quel point le rendement financier d’une imposition plus sévère mais pas encore confiscatoire des « riches » serait insuffisante pour obtenir un résultat significatif pour les contribuables mal lotis, à quel point aussi une telle mesure risquait de faire fuir les revenus convoités, de se révéler contre-productive.
La proposition est donc impraticable à plus d’un titre. Si son auteur en était conscient, quel pouvait alors avoir été son but? La proposition inévitablement mise au rancard, quelles en seront les conséquences politiques ?
Peu d’électeurs se considéreront comme « profiteurs », se sentiront visés par la proposition, au contraire, beaucoup l’approuveront. Lors des prochaines élections, ils se souviendront de la motivation jugée sociale des candidats l’ayant appuyée. Les candidats qui s’y étaient opposés risquent par contre de passer pour des conservateurs incorrigibles ne se souciant guère du sort d’autrui.
Malgré son inanité et échec certains, la proposition pourra ainsi s’avérer électoralement payante pour les candidats l’ayant soutenue ! Serait-ce avoir été le but poursuivi ?
Honni soit qui mal y pense !
JH, le 24 mars 2021
jeha@pt.lu
P.S.:
Cet article a été rédigé spontanément. Ayant maintenant parcouru sur Wikipédia les textes traitant des principes légaux en général et ceux de la fiscalité en particulier, je crois pouvoir constater trois choses :
- que ces principes sont largement identiques dans les deux domaines ;
- que le fonds du texte de l’article ci-dessus peut être maintenu ;
- que la confiance internationale dans la fiabilité, la prévisibilité non seulement de notre législation fiscale mais aussi de notre législation en général, la confiance donc dans notre culture politique, sont des exigences qui devraient proscrire toute démagogie en la matière.
JH, le 4 avril 2021