Un article au “Wort” posant la question de savoir si, étant les incertitudes de que nous réserve l’avenir d’une part et la santé actuelle de notre économie de l’autre, il ne faudrait pas que l’État diminue son endettement tant relatif qu’absolu au détriment de la croissance de ses dépenses de consommation.
Le 20 décembre 2016 le « Luxemburger Wort » a publié sous le titre provocateur de « Wir können uns das alles leisten», une interview avec le député Claude Haagen, rapporteur du projet de la loi budgétaire 2017. Cette interview reflète bien la problématique entourant les finances publiques luxembourgeoises. Elle soulève aussi des questions.
Voici, en résumé, les principales questions des deux journalistes, Michèle Gantenbein et Max Lemmer («JJ») et les réponses du rapporteur Claude Haagen («R»), éventuellement suivies d’un commentaire du soussigné (JH).
JJ: Le Gouvernement a abandonné son but initial de réaliser un surplus annuel de 0,5%. Approuvez-vous cette volte-face?
R : Le Gouvernement entend veiller à ce que la dette publique reste en dessous de 30% du PIB. L’abandon à moyen terme du but dont vous parlez a rendu possible la réforme fiscale et une politique d’investissement.
JJ: Ne serait-ce pas plus raisonnable de réduire la dette publique en temps de prospérité telle que nous la vivons actuellement?
R: Je ne voie pas de détérioration de la dette publique par rapport à l’activité économique.
JJ: Mais la dette passe de 11 milliards à 15 milliards d’Euros!
R: Nous sommes à 22% du rapport dette/PIB et l’argent emprunté sert à des investissements.
JJ: Le Conseil d’état, la Cour des comptes, le Conseil national des finances publiques, la Chambre de métiers, tous mettent en garde contre une augmentation de la dette. Se trompent-ils ?
R: D’autres chambres professionnelles et les syndicats soutiennent la politique d’investissement du Gouvernement.
JJ: Mais le déficit du coût de fonctionnement de l’État continue à augmenter et là il ne s’agit pas d’investissements. Est-ce quand même conforme à une politique responsable?
R: Oui, parce que l’on baisse les investissements publics en temps de prospérité.
(JH: cela semble être en contradiction avec la déclaration précédente que les investissements peuvent augmenter en temps de prospérité).
JJ: De nouveau: est-ce responsable de proposer que le fonctionnement central de l’État soit déficitaire de plus d’un milliard ? En 2013 il s’agissait de 466 millions!
R: Vous désapprouvez donc la réforme fiscale?
(JH: quel rapport).
JJ: Il faut en effet se demander si nous pouvons nous permettre cette réforme.
R: Oui, nous le pouvons parce que nous renforçons le pouvoir d’achat des ménages.
(JH: cet argument est typique d’une conception unilatérale et dangereuse de la situation de notre pays. Elle conduit à une augmentation de notre déficit commercial et affaiblit la résilience financière du pays).
JJ: Et si le moteur économique a des ratés?
R: Les prévisions économiques sont bonnes. Lorsqu’en début de législature le Gouvernement a prévu des économies, on l’a critiqué. La situation actuelle permet de venir en aide aux familles défavorisées et les agences de notation ne nous enlèvent pas pour autant notre triple A.
(JH: réponse habile mais ne répondant guère à la question).
JJ: Les électeurs socialistes approuvent-ils l’abaissement de l’impôt commercial de 21% à 18%
R: Voilà un sujet délicat pour mon parti mais nous devons veiller à ce que nos entreprises restent compétitives.
JH: commentaires généraux.
1) Le calcul de notre PIB.
Pour comparer les finances publiques des États, quelle que soit leur taille, l‘OECD compare les principaux chiffres en les ramenant par tête d’habitant. Il en est ainsi du PIB.
Pour des raisons exposées dans ce blog à son article “3.02 La richesse des Luxembourgeois”, cette façon de procéder de l’OECD donne un résultat trop favorable pour le Luxembourg, notamment parce que les revenus des frontaliers sont inclus dans son PIB alors que dans le diviseur le nombre des frontaliers et de leur famille ne l’est pas. Le résultat de cette simplification est négligeable pour la grande majorité des pays. Pour le Luxembourg tel n’est cependant pas le cas. Il en résulte que le PIB par habitant du Luxembourg tel que communément présenté est trop haut. Le pourcentage de la dette moins significatif que présumé.
2) En temps de crise ou de stagnation économique il faut soutenir le pouvoir d’achat des ménages.
Dans une conférence donnée à Luxembourg, M. Stieglitz, prix Nobel d’économie, a fustigé les politiques d’austérité. Il a préconisé qu’en temps de crise ou de stagnation économique, les États soutiennent le pouvoir d’achat des ménages, quitte à laisser filer l’endettement public.
Stieglitz est un Américain et le dollar est mondialement l’ultime monnaie de réserve. Cela fait que les États Unis peuvent «imprimer» presqu’impunément des dollars sans que ceux-ci perdent leur valeur. On comprend dès lors que M. Stieglitz préconise qu’en temps de crise économique, les pouvoirs publics renforcent le pouvoir d’achat des ménages.
Il est aussi intéressant de noter que le Fonds monétaire international, qui a pendant des années imposé des cures d’austérité aux pays auxquels il prêtait de l’argent, admet maintenant avoir souvent eu tort à ce faire.
Le Luxembourg doit il emboîter le pas alors que, grâce à sa notation AAA, il peut emprunter à des conditions très favorables ? Forts de tels encouragements, nos syndicats, la Chambre de Travail, l’Union des consommateurs exigent que l’on donne suite à ces conseils.
Le soussigné croit qu’ils ont tort. Pourquoi?
Si l’État luxembourgeois s’endette pour soutenir, voir renforce le pouvoir d’achat des consommateurs, quel en sera le résultat? Eh bien les Luxembourgeois sont encouragés de dépenser davantage plutôt que de restreindre leurs dépenses. Nos importations de produits de consommation ne diminueront donc pas. Nous continuerons ainsi à apporter un (modeste) support à l’économie d’autres pays et à creuser notre déficit commercial. En ce faisant l’État doit augmenter son endettement.
Dans les grands pays, soutenir le pouvoir d’achat des ménages stimule avant tout l’économie nationale. Chez nous, c’est n’est pas le cas.
3) Comment finançons-nous alors nos importations, nos vacances à l’étranger?
Malgré ces importations, malgré les pensions que nous devons verser à ceux ayant choisi de passer le soir de leur vie sous des cieux plus cléments que le nôtre, notre balance des paiements est positive. Comment est-ce possible?
Ce l’est avant tout par la rémunération des services que notre place financière fournit à l’étranger. Pour que cela continue à fonctionner, il y a deux conditions:
– les clients doivent avoir confiance dans la qualité de nos services et le know-howde notre place financière doit continuer à être à la hauteur des attentes des clients.
Or l’envergure de notre place financière fait qu’elle a besoin de spécialistes, d’un personnel compétant que l’on ne trouve pas toujours sur place. Il s’en suit que l’on doit recruter à l’étranger et que la perspective de travailler au Luxembourg, d’y fonder une famille, doit dès lors être attrayante.
Pour qu’il en soit ainsi, beaucoup de facteurs jouent leur rôle: la qualité de vie, le système d’éducation, les services publics, l’infrastructure, les conditions de travail de ces spécialistes, leur rémunération et l’imposition de celle-ci.
La récente proposition de hausser le taux d’imposition des revenus élevés, saluée comme une mesure éminemment sociale, risque dans ce contexte d’être contreproductive, de donner le signal qu’en cas de besoin nous n’hésiterons pas à demander aux cadres de la place de passer à la caisse. Or des décisions importantes sont prises à ce niveau et il importe que l’on y ait l’intérêt de notre pays à cœur.
4) L’utilité économique des investissements publics.
L’argument que l’endettement public permet des investissements dont l’utilité économique future financera le remboursement des dettes les ayant financés, doit aussi être nuancé : quelle sera la rentabilité du nouveau stade de football ? Les nouveaux investissements correspondront-ils aux besoins des générations montantes? Le tram sera-t-il aussi bénéfique que l’on le promet?
5) Prévenir les risques même improbables.
La France fait marcher à quelques pas de notre frontière une centrale atomique. Nous exigeons que celle-ci soit aussi sûre que possible, qu’elle puisse résister à des accidents même improbables. Ne devrait-il pas en être de même pour notre place financière?
À ce propos il faudrait qu’en se rende compte en haut lieu que notre pays ne maîtrise pas tous les risques qu’il pourrait un jour devoir affronter. Ce constat n’est pas nouveau. À titre d’exemple : quoique nous fassions, nous ne sommes pas à l’abri d’un événement qui ferait douter de la solidité de notre place financière, d’un scandale dont les causes pourraient se trouver à l’étranger et pour lesquelles nous n’aurions pas la moindre responsabilité. Pourtant les résultats de nos banques et, par conséquent, le niveau de nos recettes fiscales en pâtiraient. L’État devrait alors intervenir financièrement pour soutenir des instituts financiers fragilisés. Le tout mènerait à un recours accru à l’emprunt public et, vraisemblablement, à la perte de l’excellence de notre notation. On imagine les conséquences d’un tel scénario pour le volume et le coût de notre dette publique.
Cette vulnérabilité est typique pour un petit pays dont l’économie est peu diversifiée. Il faut s’en accommoder tout en essayant de diversifier davantage notre économie.
Mieux vaut cependant une économie peu diversifiée mais prospère qu’une économie équilibrée mais faiblarde!
Ne pas évoquer la possibilité d’un tel “Gau” d’un tel “grösst möglicher Unfall” revient à ne pas l’envisager, à ne pas se préparer pour y faire face. Il faut que l’on puisse en parler!
Dernière considération :
Si l’Europe n’a pas voulu laisser tomber la Grèce, ce n’était pas uniquement par altruisme. Or nous n’avons pas pour l’Europe l’importance d’une Grèce. Et grâce à notre «richesse», aux «Luxleaks» aussi, nous n’avons pas que des amis en Europe!
Conclusion:
Faisons gaffe: pour renforcer la résilience de notre économie, réduisons notre dette publique non seulement par rapport au PIB (qui chuterait en cas de gros pépin et ferait grimper rapidement le pourcentage de notre dette publique par rapport au PIB), mais également en valeur absolue!
JH, 23.12.2016
Ajoute:
Depuis un certain temps on assiste à une situation économique inédite: la coexistence d’une création monétaire et d’un gonflement des dettes publiques permettant une croissance économique durable (on l’espère) grâce à des taux d’intérêt extrêmement bas sans que cela provoque une inflation.
La question se pose de savoir si ce phénomène est significatif pour la conduite des finances publiques luxembourgeoises. Il n’a en tout cas pas empêché la crise grecque. Le soussigné continue de croire dans ce contexte que la politique luxembourgeoise devrait plutôt s’inspirer des principes de gestion d’une grande société de droit privé.
JH le 21 mai 2019